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Forme physique

Les clubs de course à pied font battre le cœur des queers

Les clubs de course à pied LGBTQ2S+ aident leurs membres à trouver une communauté, à renforcer leur estime de soi, et parfois même à trouver l'amour


Écrit par Paula Espinosa

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Getty Images; acepeaque/Script

Carl Hiehn avait 21 ans lorsque sa toute première relation sérieuse a pris fin. C'était en 2009, et au moment de la rupture, son ex venait de terminer un demi-marathon. Le cœur brisé, submergé par ses émotions, Hiehn s'est alors récité ce credo : « Tout ce que mon ex peut faire, je peux le faire encore mieux ». Il s'est immédiatement mis à s'entraîner. Moins de six mois plus tard, il courait son tout premier demi-marathon. Jusqu’alors, Hiehn ne se considérait pas vraiment comme un coureur, mais le simple fait de sortir et de courir auprès d'autres personnes a fait de la course à pied une activité qu'il pouvait réellement apprécier.  
 

Aujourd'hui trentenaire, Hiehn aide d'autres personnes à cultiver un amour similaire pour la course à pied. Il est le fondateur de Queer East Run Crew, un club de course à pied torontois composé de quelque 200 membres de la communauté LGBTQ2S+. Fondé en 2021 pendant la pandémie de COVID-19, alors que les sentiments de solitude et le manque de communauté étaient à leur apogée, Queer East Run Crew est devenu un espace indispensable pour les personnes en quête d'interactions sociales. Le club se réunit une fois par semaine pour une rencontre informelle où les membres peuvent choisir parmi trois itinéraires différents : l'un se court à un rythme permettant de discuter, un autre à un rythme plus soutenu, et un troisième, plus long, est destiné aux adeptes de course d’endurance. 
 

« Certain·e·s de nos membres ont participé plusieurs fois au marathon de Boston, mais nous en avons aussi qui débutent tout juste », explique Hiehn. Le club sert également de lieu d’échange pour les coureur·euse·s queer, qui poursuivent parfois les rencontres dans un bar, autour d'un verre, pour en discuter tout en cultivant de nouvelles relations avec d’autres membres. 
 

Hiehn, qui est témoin de l'impact du Queer East Run Crew Toronto depuis sa création, constate que ce club a permis aux gens d'assumer leur queerness, de partager leur passion pour le mouvement et de tisser des liens avec d'autres adeptes de course à pied.
 

Partout au Canada, plusieurs autres clubs de course LGBTQ2S+ offrent la même chose à leurs membres.   
 

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L'essor des clubs de course queer 

On trouve maintenant de nombreux clubs de course à pied LGBTQ2S+ à travers le Canada, dont certains s’adressent spécifiquement aux personnes trans et non binaires, comme le Queer Run Club (QRC) à Toronto et le Queer Van Run Club à Vancouver. 
 

De nombreux espaces dédiés aux personnes queer ont fermé leurs portes pendant la pandémie, créant un vide pour la communauté desservie, alors en quête de liens communautaires hors du domicile. La course à pied s'est imposée comme une activité de plein air idéale, car elle est gratuite, conviviale et ne nécessite que peu ou pas d'équipement.  
 

La composition des clubs de course queer en dit long sur l'évolution de l’industrie de l’athlétisme. Cinq des six courses du prestigieux circuit World Marathon Majors, par exemple, permettent désormais de s’inscrire en tant que personne non binaire. On œuvre également davantage à rendre ces espaces plus inclusifs. Jake Fedorowski, coureur·euse non binaire et directeur·ice général·e de la Queer Running Society, a créé l’ouvrage de référence Guide to Non-Binary Inclusion in Running (ou Guide pour l'inclusion des personnes non binaires dans la course à pied), une ressource visant à rendre ce sport plus accueillant. 
 

Il existe de nombreuses raisons pouvant motiver une personne à se joindre à un club de course, comme le sentiment d'appartenance à une communauté, la rencontre d'autres personnes, ou l’occasion de pratiquer un sport dans un environnement inclusif. 
 

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Selon MK Kwan, fondateur·ice du QRC à Toronto, les participant·e·s n'ont pas toujours envie de courir, et ce n'est pas grave. QRC encourage ses membres à participer à sa course hebdomadaire à leur propre rythme, ce qui inclue la marche. Ce club « n'est pas entièrement axé sur la course — c’est peut-être en partie pour ça qu’on s'y sent bienvenu·e », explique Kwan. 
 

Pour un grand nombre de membres, les clubs de course queer sont une occasion de rencontre autant que de mise en forme. 
 

Eric Wright explique que le Queer East Run Crew de Toronto permet à ses membres de rencontrer des personnes partageant des intérêts similaires.  
 

Cette année, Eric Wright a intégré l'équipe de direction du club, poste dans le cadre duquel iel est chargé·e de diriger les échauffements, de préparer les itinéraires hebdomadaires et d'accueillir les personnes nouvellement membres. Eric Wright fait partie du Queer East Run Crew depuis 2022. Iel dit aimer les sensations que lui procure la course à pied, mais aussi ce que les membres de QRC club ont apporté à sa vie en se joignant au club.  « Courir est pour moi synonyme de liberté, pour plusieurs raisons. Je dirais aussi que courir permet de tisser des liens avec les gens », explique-t-iel. 
 

Wright a commencé la course de fond en quatrième année du primaire, et a participé à des compétitions de cross-country et d'athlétisme tout au long de son secondaire. En 2019, à la suite d'une blessure liée à la pratique de la danse, iel a dû arrêter la course à pied. En s’inscrivant au club, iel est donc retourné aux sources.  
 

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« On en était aux dernières phases de la pandémie, alors les gens commençaient à sortir davantage et à se revoir. Et [le Queer East Run Crew] se trouvait en plein dans mon quartier, et c'était queer et trans. Je me suis dit : eh bien, ça correspond exactement à ce que je recherche. »
 

À ses yeux, les groupes queer sont visiblement différents de ceux destinés à la population générale. Wright, qui a fait partie de nombreuses ligues sportives queer et trans, reconnaît le sentiment de sécurité et d'inclusion que ces espaces peuvent cultiver. 
 

« Il y a une volonté très forte de faire en sorte que ce soitun espace sécuritaire où on peut être soi-même », selon iel. « La plupart des membres sont des hommes gays, mais je me sens à ma place, accepté·e et considéré·e comme un·e égal·e. » 
 

Cette sécurité est particulièrement importante pour les personnes trans et non binaires, qui sont souvent exclues des ligues sportives. Au Canada, seulement 11 % des jeunes non binaires âgé·e·s de 5 à 19 ans pratiquent un sport d’équipe.   

 

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Le rapport annuel de 2023 de RunSignup, un outil de gestion de course en ligne, a également révélé que seulement 0,2 % des personnes inscrites s'identifiaient comme non binaires, contre 44,7 % d'hommes cisgenres et 53,4 % de femmes cisgenres. Bien que ces données ne soient pas représentatives d’une absence de participant·e·s non conformes, elles soulignent l'absence d'une option d'inscription pour les personnes ne s'identifiant pas à la binarité du genre. Avant 2022, « homme » et « femme » étaient les seules options d’inscription offertes sur RunSignup.
 

Comme l'explique Wright, les ligues sportives organisées ont souvent la réputation d’être profondément hétéronormatives, ce qui peut rebuter les participant·e·s LGBTQ2S+. 
 

Les clubs de course queer accueillent les personnes qui ont été exclues de la pratique du sport par les divisions de genre. Cet accueil leur permet de retrouver leur place. 
 

Laurie, qui a préféré ne pas divulguer son nom de famille afin de protéger son identité, est passionnée de course à pied depuis ses quinze ans. En 2023, elle s’est jointe à OUTrun, un club de course queer basé à Montréal. C’est sa toute première expérience de course au sein d’un club.  
 

« Je ne m’étais jamais inscrite à un club de course auparavant, pour diverses raisons, dont l'une est que je suis trans. Au début de ma transition, j'étais un peu moins sûre de moi et plus méfiante, surtout envers les gens qui ne font pas partie de la communauté LGBTQ2S+ », confie la coureuse. 
 

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Laurie explique que OUTrun se démarque par la diversité de genre d’un grand nombre de ses membres, ce qui lui a permis de tisser des liens avec ses camarades de course.
 

Elle apprécie également que le groupe soit ouvert à collaborer avec ses membres pour s'améliorer. OUTrun a organisé une réunion communautaire sur Zoom en février au cours de laquelle les membres ont pu partager leur avis. Ces retours ont permis d’identifier les principales priorités du groupe, comme l'accessibilité physique des parcours et une publicité accrue auprès d'autres ligues sportives queer, afin d'accroître la visibilité des événements. 
 

Les clubs de course ne créent pas seulement des amitiés

Les groupes de course à pied queer offrent parfois ce qui manque aux applications de rencontre, aux bars ou aux clubs : des occasions de rencontre en face à face plus significatives, régulières et naturelles.  
 

Hiehn a fréquenté plusieurs personnes rencontrées dans des clubs de course à pied. Il considère que ces relations sont très différentes de celles nouées via les applications de rencontre.  « Je suis sur Grindr depuis huit ans et ça n'a jamais vraiment fonctionné pour moi. La course à pied m'a donné beaucoup plus de contrôle positif. Il n'y a pas d'alcool, et personne n’a bu ou pris quoi que ce soit avant la rencontre. On est un peu plus lucide, on a les idées claires », explique-t-il.  
 

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C'est pourquoi il considère qu'engager la conversation avec des personnes qu'il ne connaît pas forcément, dans un tel contexte de sobriété, a quelque chose d’unique et de rafraîchissant : c'est moins rigide et plus décontracté.  « On constate une augmentation du sentiment de solitude au sein de la communauté queer, peu importe où chacun·e se situe. Je pense que les gens ont soif de relations authentiques », estime Hiehn. « Si on cherche à nouer une véritable relation avec quelqu'un sans se contenter de “swiper” en fonction de son apparence sur une photo, une rencontre en personne est nécessaire. Et c’est justement ce qu’offrent les clubs de course », explique-t-il. 
 

Katy Dmowski a fait la connaissance de sa partenaire Evelyn Poole à l'OUTrun Club, le premier événement queer auquel iel a participé après avoir déménagé à Montréal en 2022. Dmowski et Poole, tous·tes deux coresponsables d'OUTrun, se sont d’abord rencontré·e·s à une fête chez des ami·e·s au mois de septembre, sans savoir qu'iels se reverraient à OUTrun le lendemain.  « C’était un moment vraiment spécial. OUTrun a facilité notre relation, parce qu’on s’est revu·e·s chaque semaine à partir de là. C'était comme un point de contact », explique Poole. « La course, c’est quelque chose qui nous rapproche constamment et qu’on peut partager avec notre cercle d'ami·e·s plus large. » 
 

Dmowski s'estime chanceux·se de partager un intérêt comme la course à pied  avec Poole, et connaît beaucoup de gens chez OUTrun qui ont également tissédes relations amoureuses. « Quand des personnes ayant des intérêts communs se réunissent dans un espace où elles peuvent vraiment être elles-mêmes et explorer quelque chose ensemble, c’est naturel que des relations se créent », dit-iel.  
 

Dans l'ensemble, Dmowski se dit reconnaissant·e des relations tant romantiques que platoniques qui sont arrivées dans sa vie grâce à la course à pied. « La plupart de mes ami·e·s actuel·le·s sont des personnes que j'ai rencontrées grâce à OUTrun. Et je trouve ça magnifique qu’on puisse se présenter et tout de suite former des liens aussi profonds. » 

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