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Forme physique

Comment un gym d'Edmonton rend l'exercice physique accessible

Géré par des professionnel·le·s queer et trans, Action Potential Fitness a été créé pour répondre aux besoins de la clientèle LGBTQ2S+


Écrit par Natasha Chiam
November 3, 2025 dernière mise à jour October 31, 2025

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Credit: Getty Images

Dans un édifice de plain-pied banal de l'ouest d'Edmonton se trouve Action Potential Fitness, un petit gym niché entre un centre de dressage de chiens d'assistance et un magasin d'articles de scrapbooking. À l'intérieur, rien ne distingue l'endroit des autres  gyms. Des haltères et des kettlebells, des bancs d'entraînement, quelques supports à squats et d'autres équipements de conditionnement physique sont alignés le long des murs. La clientèle entre et sort au rythme des heures, se mêlant aux discussions avec les entraîneur·euse·s et les autres client·e·s avant ou après leurs séances individuelles et leurs cours collectifs.

Ce gym se distingue par le fait que plus de 70% du personnel, y compris les propriétaires, s'identifient comme LGBTQ2S+. En regardant d’un peu plus près, vous y verrez une mascotte en peluche en forme de requin aux couleurs du drapeau trans sur une étagère surplombant une partie de la salle, des drapeaux Progressive Pride et des arcs-en-ciel décorant toute la salle, des toilettes non genrées, et vous remarquerez que les membres du personnel ainsi que la clientèle portent souvent des épinglettes ou des t-shirts affichant leurs pronoms. 

Action Potential Fitness est l'endroit où Toni Harris, copropriétaire et entraîneur·euse fitness trans, a enfin eu l'occasion de créer et de concrétiser un projet dont iel rêvait depuis des années: un programme d’entraînement conçu pour les personnes trans, par des professionnel·le·s du fitness trans. 

C’est après avoir obtenu son diplôme d’entraîneur·euse physique en 2017 et commencé à travailler dans un grand centre de conditionnement physique que Harris a constaté le manque d’espaces de conditionnement physique accueillants pour les personnes LGBTQ2S+ à Edmonton. L'un·e de ses collègues entraîneur·euse·s a contacté un organisme LGBTQ2S+ local pour recruter un groupe de participant·e·s en vue d’un nouveau cours de fitness, mais il y avait un hic: les propriétaires du centre n’autorisaient la tenue de ce cours qu’une demi-heure après la fermeture du gym, lorsque tou·tes les autres client·e·s et entraîneur·euse·s avaient quitté les lieux. C'est à ce moment-là que Harris a réellement pris conscience des obstacles et de la discrimination auxquels la communauté LGBTQ2S+ fait face dans le monde du fitness. 

Dans la plupart des salles de sport, une conception binaire du genre est encore très ancrée. Cela se reflète dansdes politiques telles que la séparation genrée des vestiaires et des cours, ou l'obligation de remplir des formulaires avec un nom et un genre conforme à ses pièces d'identité, ce qui crée un climat d’exclusion pour les personnes ne s’identifiant pas à cette binarité, et qui se retrouvent souvent contraintes de « choisir un camp ». Cette expérience peut transformer une activité aussi simple que l'exercice physique en situation embarrassante et anxiogène. 

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« Les gyms ne réalisent même pas à quel point ils sont peu inclusifs », explique Zita Dube-Lockhart, partenaire commerciale de Harris et copropriétaire d'Action Potential Fitness. Selon Dube-Lockhart, l'un des principaux angles morts de l'industrie du fitness est qu'elle n'a jamais réellement cherché à recruter, à cultiver ou à former des personnes issues de divers horizons et ayant des expériences de vie différentes. « Le monde du fitness se vante d'être ouvert à tou·tes, mais en réalité, être ouvert à tou·tes, ça implique de s'assurer que tout le monde est représenté au sein de la direction de l'entreprise, dans l'enseignement, dans la conceptualisation et dans la participation. Et ça implique de chercher activement à combler les lacunes en ce qui concerne les personnes qu’on ne parvient pas à rejoindre», affirme Dube-Lockhart.

En 2017, Harris se doutait bien qu'il devait exister une manière plus efficace de favoriser l'inclusion que de reléguer la clientèle queer et trans dans des créneaux horaires en dehors des heures d'ouverture. Iel s'est donné une mission personnelle et professionnelle: mieux comprendre les besoins de la communauté queer et trans en matière de conditionnement physique, et participer à la création d'un espace pouvant répondre à ces besoins.

À l’époque, Harris n'avait pas encore révélé son identité trans. C’est alors qu’iel a entrepris des recherches sur le rapport à l'exercice physique et son accessibilité au sein de la communauté trans, tout en développant une clientèle trans et non binaire pourses entraînements individuels. Iel s'est peu à peu forgé une réputation de professionnel·le du fitness sécuritaire et bien informé·e au sein de la communauté trans locale d'Edmonton. Ce sont ses interactions avec des client·e·s trans qui l'ont également aidé·e à gagner en confiance en vue de sa propre transition. « Les liens et les relations [que je tissais] m'ont aidé·e à surmonter ma peur. »

Harris et Dube-Lockhart se sont rencontré·e·s alors qu'iels terminaient le programme de formation en entraînement physique au Northern Alberta Institute of Technology. Iels se sont tout de suite bien entendu·e·s, et partageaient des points de vue très similaires sur l'accessibilité au fitness, la neutralité corporelle et l'inclusion. En avril 2019, Harris a intégré sa pratique d'entraînement personnel à la salle de sport que Dube-Lockhart avait fondée. Lorsque la pandémie a frappé, les deux entraîneur·euse·s ont décidé de traverser la tempête ensemble: iels ont officialisé leur partenariat, rebaptisé l'établissement « Action Potential Fitness » et travaillé sans relâche, pendant deux ans, pour soutenir leur communauté.

Leur mission—la forme physique pour chaque corps et la santé pour tou·tes—a rapidement consolidé l'orientation de l'établissement, qui s'est spécialisé dans la réduction des obstacles à l’entraînement pour les populations marginalisées. Dube-Lockhart explique que leur vision était de créer un espace de remise en forme fondé sur les principes « d'appartenance, de dignité et de justice sociale ».

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Afin de relever ces défis, et avec l'aide d’un personnel majoritairement queer et neurodivergent, Action Potential Fitness a élaboré une offre de services incluant des programmes d'apprentissage précoce et de développement de la motricité globale pour les enfants aux profilx neurodiversifiés et leurs parent·e·s ou responsables, une programmation jeunesse et des programmes d’entraînement valorisants, axés sur l'acceptation radicale du corps et adoptant une approche neutre, sans contrôle de poids. 

Grâce aux ressources désormais disponibles dans leur propre établissement, Harris a également commencé à élaborer des programmes destinés à servir et à soutenir la communauté trans à plus grande échelle. En janvier 2023, un premier groupe de personnes trans et non binaires s'est inscrit à un projet pilote d’introduction à l'haltérophilie, un programme gratuit d’une durée de six semaines intitulé « Fitness Trans Formed ». 

« On avait publié un message sur les réseaux sociaux avec un lien pour s'inscrire. On pensait attirer cinq ou six personnes. On a eu trente-six inscriptions, raconte Harris. » L’équipe était ravie, et quelque peu dépassée par l’enthousiasme de la clientèle, mais « ne pouvait tout simplement pas refuser qui que ce soit ». 

Dorian Block faisait partie de cette première cohorte du programme Fitness Trans Formed. Originaire des États-Unis, il venait de déménager à Edmonton pour y rejoindre son partenaire et cherchait à s'intégrer à une communauté. Son partenaire lui a envoyé une publication Instagram présentant le programme et il s'est empressé de s'inscrire. 

« J'ai vraiment commencé à masculiniser mon corps en essayant toutes sortes de trucs quand j'ai commencé à envisager une mammectomie. Je n'étais pas très sportif, alors j'ai commencé par faire du yoga, puis de la musculation. » Block s'est inscrit à un gym quand la date de son opération a été fixée, alors qu’il vivait au Texas. Il raconte avoir parfois eu peur d’y entrer. « J'avais toujours l'impression de me mettre dans un espace qui n'était pas spécialement conçu pour moi. Je devais toujours me motiver à y aller. Je me disais: « Tu paies pour être ici, c’est toi le premier arrivé à cette machine, c’est à ton tour de l’utiliser. » Il faisait également très attention à la façon dont il s'habillait pour aller à ce gym, et avant son opération, il n'utilisait que rarement les vestiaires pour hommes. 

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Après l'opération, Block suivait des programmes d'entraînement en ligne, conçus par des créateur·trice·s trans publiant sur Instagram. Ceux-ci n’étaient pourtant jamais adaptés à lui ni à ses objectifs d’entraînement personnels. « Je n'aurais jamais pensé pouvoir trouver, dans ma propre ville, un·e entraîneur·euse qui partage mon identité et qui est capable de s'adapter à mes entraînements, mes objectifs, mes habitudes alimentaires et mes besoins nutritionnels. » 

Block admet que jusqu’alors, côtoyer d'autres personnes trans n’avait pas été une expérience valorisante pour lui. L'omniprésence de la culture de la diète, de la honte et des comportements hyper machistes dans ces expériences passées l’avait mené à ressentir beaucoup d'anxiété à l'idée de partager un espace avec d'autres personnes trans. L'une des premières choses qu'il a remarquées en rejoignant le programme Fitness Trans Formed, c'est à quel point l'environnement témoignait d’une approche neutre face au corps. « Tout le monde pouvait se présenter tel·le quel·le, peu importe l'étape où iel en était dans son propre parcours de genre. » Block dit s’être senti valorisé plutôt qu’anxieux dans cet espace aussi sécuritaire et accueillant pour les personnes trans, ce qui a renouvelé sa motivation à se remettre au sport. 

Harris remarque que les formulaires d'inscription que les participant·e·s doivent remplir  au préalable les rassurent, et ce, bien avant qu'iels n'arrivent au gym. Les formulaires incluent des questions sur les pronoms et les noms (et Harris souligne qu'iels ne demanderont jamais à voir la carte d'identité d'une personne ni à connaître son morinom, ce que de nombreux gym traditionnels exigent à l’adhésion). « Nous avons également beaucoup de personnes non binaires qui s'inscrivent à nos programmes en voulant simplement partager un espace avec d'autres personnes qui ne vont pas leur demander ce que ça veut dire, “non binaire”! »

Tou·tes les entraîneur·euse·s personnel·le·s qui travaillent avec les participant·e·s au programme Fitness Trans Formed sont trans. C'est cette expérience vécue et leurs connaissances spécialisées sur les personnes trans et leurs besoins spécifiques qui sont non seulement essentielles à la réussite du programme, mais aussi indispensables à la sécurité de toutes les personnes impliquées. « Il s'agit par exemple de comprendre les différents effets physiologiques d'un traitement hormonal, ou de savoir comment adapter les entraînements en toute sécurité, car les participant·e·s portent des vêtements affirmant leur genre, comme des binders ou des gaffs », explique Harris.

Toutes ces considérations sont abordées très ouvertement dans les ateliers qui font partie du programme. Selon Dube-Lockhart, l'objectif n'est pas seulement d'enseigner aux participant·e·s les principes de base de l'haltérophilie et de l'utilisation des appareils de musculation, mais aussi de démontrer l'importance du lien entre le corps et l'esprit, et l'impact des traumatismes sur la santé mentale et physique. 

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L'objectif ultime de Harris, avec le programme Fitness Trans Formed, est non seulement d'amener les personnes trans à bouger leur corps, mais aussi de les aider à renouer avec leur corps, ce qui peut être difficile compte tenu de l'anxiété, des traumatismes ou de la dysphorie de genre, des enjeux présents chez nombre de personnes trans s’inscrivant au programme. 

 

Un article du New York Times, paru en 2022, s’est penché sur le pouvoir thérapeutique de l'haltérophilie, expliquant qu’après avoir subi un traumatisme, nombre de personnes évitent toute forme d'exercice physique par peur de la réaction de stress potentielle de leur corps. Le cœur bat alors plus vite, la pression artérielle augmente, un essoufflement se manifeste. Autant de symptômes physiques similaires à ceux ressentis lors d’un traumatisme. Harris reconnaît que pour plusieurs de ses client·e·s, il peut être difficile de distinguer une réponse traumatique de l'inconfort physique lié à un nouveau programme d'entraînement. Les entraîneur·euse·s de Fitness Trans Formed adoptent une approche tenant compte des traumatismes afin d'apprendre aux participant·e·s à reconnaître ces inconforts et à les aider à développer leur force physique et leur résilience mentale. 

Fitness Trans Formed fait partie de la programmation du centre Action Potential Fitness, mais est officiellement administrée par le Centre for Trauma-Informed Fitness, un organisme à but non lucratif créé par Harris et Dube-Lockhart pour offrir davantage de programmes destinés à la communauté trans et de la diversité de genre, et ce, à coût réduit ou sans frais pour les participant·e·s. Le statut d'organisme à but non lucratif facilite l'accès à des subventions et à d’autres sources de financement, en plus de permettre au duo de s'associer à d’autres organismes similaires susceptibles d'être intéressés à offrir leurs cours dans leurs propres établissements. 

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« L'accessibilité financière est probablement le principal obstacle, outre la sécurité et l'espace », explique Harris. « Chaque fois que nous offrons un cours, nous proposons une structure tarifaire à plusieurs niveaux allant jusqu'à “je n'ai pas les moyens de payer”'. Nous ne refusons personne pour des raisons s financières. » Dube-Lockhart ajoute que les services offerts par le Centre sont fournis sur une base bénévole et que tous les revenus sont directement réinvestis dans la mise en œuvre des différents programmes. 

Compte tenu du climat actuel en Alberta pour la communauté trans, Harris et Dube-Lockhart sont plus déterminé·e·s que jamais à remplir leur mission, qui consiste à fournir des espaces sécuritaires et valorisants pour la clientèle transgenre et non binaire de tous âges. Harris envisage également une formule hybride, en personne et en ligne, pour les personnes éprouvant des difficultés à se rendre sur place ou pour qui il n'est pas sécuritaire de s'afficher publiquement. « Idéalement, nous voulons que les participant·e·s de Fitness Trans Formed se sentent suffisamment en confiance pour rejoindre n'importe lequel de nos cours de fitness, en sachant qu'iels font partie intégrante de notre communauté sportive. »

Pour Dorian Block, intégrer la première cohorte de Fitness Trans Formed lui a apporté bien plus que la simple motivation à retourner au gym. Ses nouveaux entraînements ont aussi eu un impact bénéfique sur son bien-être émotionnel. Lorsqu'il se sent blessé ou en colère, il retourne maintenant au tapis d’entraînement pour soulever des poids lourds et se recentrer. « Jusqu'à présent, j'ai toujours suivi mon parcours d’entraînement seul », explique-t-il. Cependant, pendant un récent voyage d’affaires aux États-Unis, où il a été victime de transphobie, le groupe Fitness Trans Formed d'Edmonton l'a soutenu et est resté en contact avec lui tout au long de son séjour. « Avoir accès à cet espace sécuritaire et à un objectif commun axé sur l'activité physique a été une façon vraiment unique de créer une sorte de communauté durable. » 

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