Le consultant trans Ash Davidson se spécialise en équité, en diversité et en inclusion. Avant son 43e anniversaire, iel a fait une mastectomie masculinisante. « Ça faisait une quarantaine d’années que j’étais mal dans ma peau, se souvient-il, donc c’était un grand moment pour moi. »
Avant l’opération, Ash avait du mal à prendre soin de sa poitrine: « J’appréhendais beaucoup les mammographies. La perspective du dépistage m’horrifiait; porter une jaquette rose, me faire triturer les seins par une personne que je ne connaissais pas, vivre un “rite de passage” féminin… »
Onze jours après l’opération, Ash apprend qu’on lui a enlevé une tumeur cancéreuse. Surprise totale. Six mois plus tôt, après une mammographie anormale, iel avait fait une échographie du sein gauche, mais rien n’avait été détecté. À l’époque, on lui avait dit que tout allait bien. Mais maintenant, il s’inquiète : et si son désir de passer à autre chose l’avait empêché de défendre ses intérêts, de poser des questions ou de demander un deuxième avis? Après son diagnostic, iel a fait de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Il est aujourd’hui en rémission.
Mais Ash n’est pas le seul dans son cas: beaucoup de personnes trans ont du mal à accéder aux soins préventifs et font face à de la discrimination ou d’autres obstacles dans le système de santé.
En juin 2023, pour la première fois en 40 ans, l’organisme Human Rights Campaign déclarait l’état d’urgence pour les membres de la communauté LGBTQ2S+ aux États-Unis, spécifiquement en ce qui concerne les soins de santé.
Les recherches montrent que chez les personnes queer ou trans, se faire diagnostiquer un cancer de la poitrine ou du sein prend presque deux fois plus longtemps que chez les hétéros cisgenres. « Plus le diagnostic est tardif, plus on doit recourir à des traitements agressifs comme la chimiothérapie ou le curage ganglionnaire, et moins le pronostic est bon », explique la docteure Robyn G. Roth, une radiologue spécialisée dans l’imagerie du sein qui pratique au New Jersey. Or, la recherche montre que 38% des personnes LGBTQ2S+ ont déjà refusé un traitement conventionnel.
Les personnes trans sont particulièrement à risque de mauvais résultats en santé. « Plus on détecte un cancer du sein rapidement, note la docteure Roth, plus le pronostic est bon et moins on risque de tomber malade. Malheureusement, les personnes trans sont trois fois plus à risque de récidive. »
De nombreux obstacles se dressent devant la communauté trans: refus de soigner, désinformation, symptômes balayés du revers de la main et détournement cognitif (gaslighting), sans compter que beaucoup de patient·e·s n’ont pas d’assurance. Les personnes trans et les autres membres de la communauté LGBTQ2S+ sont aussi à risque de harcèlement ou de mauvais traitements de la part des prestataires de soins de santé.
Après avoir été maltraitées en contexte médical, certaines personnes trans se méfient chaque fois qu’elles rencontrent un·e spécialiste, y compris en mammographie. « La méfiance envers le corps médical nuit au dépistage précoce, au suivi et au lien de confiance avec les prestataires », déplore Scout, directeur général du National LGBT Cancer Network aux États-Unis.
Ash connaît bien cette réalité. C’est en partie pourquoi le dépistage du cancer de la poitrine n’était pas une priorité pour lui: « Je ressentais de la dysphorie, je me sentais émasculé. Je n’étais pas à ma place dans cet univers-là. J’ai demandé à répétition qu’on corrige les pronoms dans mon dossier, mais on me mégenrait quand même. Un préjugé n’attendait pas l’autre. C’était épuisant. »
Pour diagnostiquer rapidement le cancer du sein et éviter les récidives, il faut absolument prioriser la santé des populations queer et trans. « Il faut évaluer les facteurs de risque pour le cancer du sein chez les personnes trans, au même titre que chez les personnes cisgenres », insiste la docteure Roth. Pour renforcer le pouvoir d’agir de la communauté, elle sensibilise la patientèle et les prestataires aux signes avant-coureurs à surveiller, fait des recommandations quant au dépistage, et invite les patient·e·s trans à défendre leurs propres intérêts.
Pour la spécialiste, l’auto-examen mensuel est un incontournable. Mais pour les personnes transmasculines, la dysphorie peut être un véritable obstacle. « Pour certains gars trans, explique Scout, c’est pénible de s’auto-examiner la poitrine. Ça nous force à nous concentrer sur une partie du corps qui ne cadre pas avec notre identité. » Sachant que l’auto-examen peut être source de dysphorie, Ash conseille d’en parler avec un·e thérapeute, un·e ami·e ou un·e partenaire pour atténuer le sentiment de peur ou d’anxiété. On peut aussi laisser quelqu’un·e d’autre s’en occuper pour créer une sorte de distance. La docteure Roth est sans équivoque: si vous remarquez quelque chose d’inhabituel pendant votre auto-examen, parlez-en immédiatement à votre médecin, insistez pour qu’on vous prenne au sérieux et demandez des images.
En matière de cancer du sein, les personnes trans peuvent se fier aux normes de l’ACR Appropriateness Criteria, qui couvrent notamment les besoins de la communauté trans. La docteure Roth précise que cinq ans après la première prise d’œstrogène, les femmes trans de plus de 40 ans doivent faire une mammographie tous les deux ans. La même recommandation s’applique à certaines femmes trans qui n’ont jamais pris d’hormones, mais qui sont à risque élevé de développer un cancer du sein. La radiologue ajoute que les personnes transmasculines qui n’ont pas fait de mastectomie doivent faire une mammographie tous les ans à partir de 40 ans si leur niveau de risque est moyen (ou dès 30 ans s’il est élevé).
Quant aux personnes transmasculines qui ont fait une mastectomie, elles doivent plutôt se faire examiner la poitrine sur une base annuelle. Scout souligne l’importance de cet examen: « Quand on fait une mastectomie pour des raisons d’affirmation du genre, on n’enlève pas la même quantité de tissu mammaire que pour un cancer. On laisse des tissus qui peuvent devenir cancéreux par la suite. »
Pour sa part, Ash suit un nouveau protocole: « Je n’ai plus beaucoup de tissu mammaire, donc je ne fais plus de mammographies, mais je fais une échographie et un examen de la poitrine quelques fois par an. »
D’après la docteure Roth, il faut trouver des prestataires en qui on a confiance et qui ont des compétences culturelles: « Cherchez un·e médecin qui est à l’écoute et qui vous prend au sérieux. » On peut par exemple se tourner vers une clinique en santé sexuelle qui sert les communautés queer et trans. Aux États-Unis, la liste des prestataires de soins de santé pour personnes trans est un bon point de départ. Idem pour la liste des prestataires en dépistage adapté à la patientèle trans, proposée par le National LGBT Cancer Network.
Pour diagnostiquer plus rapidement le cancer du sein chez les personnes trans (et réduire le risque de récidive), il faut miser sur la compassion et l’accessibilité des soins. Ash résume la question ainsi: « Si j’étais plus à l’aise avec le système de santé, j’aurais les connaissances et la confiance en moi dont j’ai besoin pour défendre mes intérêts. »