Il y a quelques années, j'ai écrit un article traitant de l'incontinence comme un problème de santé publique. Ce texte a suscité de nombreuses réactions : des personnes en situation de handicap m'ont notamment dit que c'était la première fois qu'elles voyaient leurs expériences en matière d'incontinence reflétées dans un article. J'ai également reçu de nombreux témoignages de personnes queer sans handicap me confiant avoir souffert d'incontinence, par exemple après avoir bu ou consommé des substances psychoactives.
De tels commentaires m'ont fait comprendre que les problèmes d'incontinence n'affectaient pas strictement les personnes en situation de handicap, mais qu'ils étaient en réalité assez universels. Pourtant, au moment de solliciter des témoignages auprès de personnes ne souffrant pas d'un handicap, j'ai eu du mal à trouver des personnes prêtes à parler ouvertement de problèmes d'incontinence dans leur vie intime. Les personnes queer enfreignent pourtant régulièrement les normes et les tabous. Pourquoi avons-nous encore peur de parler de toutes les fonctions de nos corps ?
« L'incontinence [urinaire] est un problème très courant, mais je pense que les gens ne se sentent souvent pas à l'aise d'en parler à leurs proches, à leur partenaire ou même à leur médecin », explique Yonah Krakowsky, urologue et responsable médical d’une clinique spécialisée dans les questions de genre au Women's College Hospital de Toronto. « Nous voyons donc beaucoup de personnes qui souffrent d'incontinence depuis des années et qui n'en ont jamais parlé. »
Jose Torres, un homme gay du Texas qui a choisi d'utiliser un pseudonyme par crainte de stigmatisation, connaît bien ce malaise. « Quand on souffre d'incontinence, c'est considéré comme un échec, comme quelque chose dont on doit avoir honte, quelque chose qu'on devrait pouvoir contrôler », explique-t-il.
Torres a subi une blessure à la colonne vertébrale à l'âge de treize ans, en jouant au football américain. Aujourd'hui, à vingt-six ans, il souffre encore de spasmes au dos et à la vessie. Il éprouve beaucoup de honte associée à son incontinence, et évite souvent tout rapport sexuel en période de spasmes vésicaux fréquents.
En contexte de stigmatisation, de nombreuses personnes gaies en situation de handicap, qui les prédisposent à l'incontinence—comme moi—sont très anxieuses à l'idée d'avoir des relations sexuelles occasionnelles et des relations amoureuses.
Je me souviens qu’il y a plusieurs années, j'avais tellement peur de passer la nuit chez une fréquentation que j'ai refusé ses invitations à deux reprises. À la troisième, j'ai finalement accepté. Iel s’est assoupie en ronflant doucement, mais moi, je n’ai pratiquement pas dormi de la nuit, ne somnolant que par intermittence et me réveillant en sursaut à chaque fois, par crainte d’un sommeil trop profond et d’un réveil embarrassant.
De nombreuses autres personnes queer en situation de handicap consultées lors de mes recherches ont déclaré qu'elles évitaient également de passer la nuit chez leur nouveau ou nouvelle partenaire. Plusieurs ont affirmé ressentir une stigmatisation qui les oblige à réfléchir beaucoup plus attentivement avant d’entreprendre une relation sexuelle ou amoureuse.
Certains aspects de ce que l'on nomme la « culture queer » peuvent entraîner l’exclusion des personnes en situation de handicap souffrant d'incontinence ou d'autres problèmes de santé. Certain·es partenaires sexuel·les queer, par exemple, peuvent avoir des attentes sexuelles qui sont tout simplement incompatibles avec ce que nos corps sont capables.
Hope Adler, un·e artiste autochtone handicapé·e vivant à Toronto et souffrant de colite ulcéreuse, a subi plusieurs opérations chirurgicales, dont la plus récente est une stomie permanente, ce qui signifie qu'iel n'a plus de rectum. Selon iel, les partenaires queer seraient plus enclins que leurs homologues hétérosexuel·les à tenter de l’inciter, par culpabilisation, au sexe anal, ne comprenant évidemment pas son anatomie.
« Dans la communauté queer, beaucoup de gens veulent prétendre à une grande tolérance, mais peuvent devenir hostiles lorsqu’on fixe des limites ou des attentes qui ne leur plaisent pas », explique Adler. Le manque de tolérance est également évident dans la façon dont la communauté queer peut souvent infantiliser et désexualiser les personnes handicapées, en particulier celles qui souffrent de « maladies liées aux toilettes », selon Adler.
C'est un phénomène qu'Alexander, un aîné autochtone gay et handicapé, évoque également (lui aussi a choisi d'utiliser un pseudonyme, pour éviter toute stigmatisation au travail.) Il se souvient d'un ami devenu pratiquement abstinent depuis qu'il est en fauteuil roulant.
« Avant la colonisation, les personnes handicapées et aînées étaient célébrées pour la sagesse unique qu'elles pouvaient partager. Mais aujourd'hui, la peur de vieillir au sein de la communauté a conduit les personnes queer à perdre le contact avec leurs aîné·e·s », explique-t-il.
Il y a pourtant tant à apprendre des ainé·e·s queer en situation de handicap, dit-il. Ces savoirs pourraient aider les personnes queer et trans non handicapées à mieux affronter le processus de vieillissement. « Le corps subit l'entropie, il se dégrade », prévient Alexander. « On n'est jeune et autonome que pendant une courte période de notre vie. »
C'est un conseil que Michel Dumont, un artiste autochtone handicapé, aurait aimé suivre plus tôt. Lorsqu'il a commencé à souffrir d'incontinence liée au vieillissement, il était trop honteux pour en parler à sa partenaire. Au fil du temps, le manque de communication a créé une distance émotionnelle dans la relation, qui s’est finalement soldée par une séparation. « Dans une relation, on partage les fardeaux. Quand on cesse de le faire, cela crée un fossé », explique M. Dumont.
Ce n'est qu'après la fin de sa relation que Dumont a commencé à parler franchement, avec des proches plus âgé·es, de leurs propres difficultés à « fermer le robinet » ou à supporter la pression de leur prostate sur leur vessie. Il m'a même confié croire que s'il avait commencé plus tôt, sa relation amoureuse aurait pu être sauvée : plaisanter avec ses ami·es rend le sujet de l'incontinence moins intimidant, ce qui aurait pu ouvrir la voie à des discussions avec sa partenaire.
Certain·es jeunes queers handicapé·es tentent d'ouvrir le débat sur l'incontinence à plus grande échelle. ses sachse, militante handicapée et ancienne travailleuse du sexe originaire de Toronto, m’explique qu’il « est effrayant d'avoir toujours peur d'en faire trop, de me faire pipi ou caca dessus, ou de saigner ». Les attitudes rigides sur l'hygiène et la propreté sont répandues et lui causent beaucoup d'anxiété. Elle sait qu’elle ne peut pas répondre à de telles attentes, puisqu’avec son handicap, les accidents sont inévitables.
Elle encourage les gens à se rappeler que les systèmes impliqués dans les fonctions intestinales et sexuelles sont étroitement liés. Lorsqu'il y a beaucoup de pression pendant un rapport sexuel, il n'est donc pas rare que de l'urine ou des selles s'échappent. « N'oubliez pas que c'est le corps qui fait cela, non pas en dépit du sexe, mais parce que le sexe lui-même est excellent », explique sachse.
Sans oublier qu’il existe déjà des environnements où ces situations sont normalisées. Au sauna Pleasure Palace où elle était bénévole, sachse était confrontée à toutes sortes de fluides corporels. C'est pourquoi l’administration avait équipé l’ensemble des salles de divers types de protections et de produits d'entretien dont la clientèle pouvait avoir besoin.
Torres reconnaît que la communication ouverte peut améliorer la vie sexuelle, et souligne que ses expériences – tant avec ses partenaires qu’au sein de la communauté queer – sont marquées par une ouverture et une créativité qui pourraient répondre parfaitement aux problèmes de plomberie imprévus. Selon lui, une culture du consentement plus normalisée au sein de la communauté queer facilite les discussions entre partenaires sur les limites et les besoins en matière de sexualité, ce qui leur permet d'être préparé·es et informé·es avant de s’engager.
« Comment peut-on avoir une vie sexuelle épanouie si l'on ne peut pas communiquer ses désirs ni les problèmes qui peuvent survenir ? », demande-t-il.
Il existe une multitude de solutions pour faciliter le nettoyage préparatoire et garantir la sécurité d’un rapport sexuel, comme l’utilisation de gants, de digues dentaires et d’autres protections pour éviter la transmission de matières fécales. Les jouets, en particulier ceux en verre, peuvent être nettoyés rapidement entre deux utilisations. Tapis, serviettes et draps peuvent être disposés à l'avance pour éviter les dégâts.
sachse avoue se réjouir à l'idée de trouver les gants ou les jouets adaptés à une relation sexuelle donnée. Et si l'incontinence oblige parfois à « changer les éléments du menu », plaisante Dumont, cela peut tout de même être amusant.
Une fois que nous avons dépassé le stade où on aborde les choses que notre corps produit, comme l'urine et les selles, ça veut dire qu'on peut s'y préparer. Ça ne doit pas forcément être une interruption gênante ; ça peut juste être un autre aspect salissant d'une relation sexuelle agréable.